Le 28 novembre, le Tchad a surpris en annonçant la rupture des accords de défense avec la France, marquant un tournant majeur dans les relations historiques entre les deux nations. Cette décision, bien que choquante pour de nombreux observateurs, résulte d’un éloignement progressif entre N’Djamena et Paris, exacerbé par des tensions politiques et des divergences stratégiques accumulées ces derniers mois.
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Dans les cercles proches du pouvoir tchadien, même les mieux informés ont exprimé leur surprise. La déclaration d’Abderaman Koulamallah, ministre des Affaires étrangères, annonçant cette rupture, a été reçue comme un coup de tonnerre. Cependant, en décryptant les événements récents, cette décision semble être l’aboutissement logique d’un climat de méfiance croissante.
Depuis l’instauration du Conseil militaire de transition (CMT) après la mort d’Idriss Déby en 2021, les relations entre le Tchad et la France se sont détériorées. Paris, autrefois un allié indéfectible de N’Djamena, a progressivement adopté une posture plus prudente, s’abstenant de soutenir ouvertement les politiques du CMT. En retour, N’Djamena a vu dans cette réserve une forme de désengagement, alimentant un sentiment de trahison.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette décision spectaculaire. Tout d’abord, le Tchad, à l’instar de nombreux pays africains, cherche à redéfinir ses relations avec l’ancienne puissance coloniale, dans un contexte de montée des sentiments anti-français en Afrique francophone. Ensuite, le président de transition Mahamat Idriss Déby souhaite renforcer son autonomie stratégique, s’inscrivant dans une dynamique d’émancipation vis-à-vis des puissances occidentales.
La présence militaire française, traditionnellement perçue comme un gage de stabilité, est désormais critiquée par une partie de la population tchadienne et par certains leaders politiques, qui la considèrent comme une interférence étrangère. En outre, cette rupture reflète une volonté de diversifier les partenariats géopolitiques, notamment avec des puissances émergentes comme la Chine ou la Russie.
Cette décision n’est pas sans implications. Pour le Tchad, la fin des accords de défense pourrait affaiblir ses capacités à gérer les menaces sécuritaires dans une région marquée par l’instabilité, notamment face aux groupes armés présents au Sahel. Cependant, le gouvernement semble prêt à prendre ce risque pour affirmer sa souveraineté.
Du côté français, cette rupture constitue un revers diplomatique et stratégique. La France perd un allié clé dans une région où elle subit déjà des pressions, après les tensions récentes au Mali, en Centrafrique et au Burkina Faso. Paris devra repenser sa stratégie en Afrique, où son influence traditionnelle est de plus en plus contestée.
Ce divorce entre le Tchad et la France s’inscrit dans une dynamique plus large de remise en question des relations entre la France et ses anciens territoires colonisés. Ces dernières années, plusieurs pays africains ont exprimé leur volonté de réévaluer leurs accords militaires avec Paris. La montée des mouvements populaires dénonçant une ingérence étrangère témoigne d’un changement de paradigme géopolitique en Afrique francophone.
La Russie, avec son approche proactive en Afrique, notamment par le biais du groupe Wagner, et la Chine, par son influence économique croissante, apparaissent comme des alternatives crédibles pour de nombreux pays. Cette diversification des partenariats fragilise la position dominante que la France occupait historiquement dans la région.
Le Tchad devra maintenant prouver qu’il peut maintenir sa sécurité et sa stabilité sans le soutien direct de la France. Cette décision met également à l’épreuve la capacité de N’Djamena à attirer de nouveaux partenaires militaires et économiques.
Pour la France, il est urgent de repenser sa politique africaine. Plus que jamais, Paris doit adopter une approche plus respectueuse des aspirations souveraines des pays africains et démontrer sa capacité à établir des relations basées sur un partenariat équitable, plutôt que sur des modèles hérités du passé.
Cette rupture, bien qu’épineuse, offre une opportunité aux deux nations de redéfinir leurs relations sur de nouvelles bases, en s’éloignant des modèles traditionnels pour construire un partenariat véritablement adapté aux enjeux du XXIe siècle.
Wilfrid K./La rédaction