La COP29, en cours à Baku voit l’un des sujets les plus controversés des précédentes conférences refaire surface : les crédits carbone. Ce mécanisme, censé financer des projets écologiques dans les pays du Sud, notamment en Afrique, en échange de la compensation des émissions de gaz à effet de serre des pays riches et des entreprises, est présenté comme une opportunité pour le continent. Pourtant, il soulève de nombreuses questions, tant sur son efficacité environnementale que sur ses implications pour la justice climatique.
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Selon une étude récente, l’Afrique pourrait générer jusqu’à six milliards de dollars au cours des six prochaines années grâce aux crédits carbone. Cette perspective séduit de nombreux gouvernements africains, à la recherche de financements pour atténuer les effets du changement climatique et s’adapter à ses impacts.
En Côte d’Ivoire, par exemple, le mécanisme a permis de mobiliser 35 millions de dollars pour protéger la forêt de Taï, l’un des derniers vestiges de forêt primaire d’Afrique de l’Ouest. La moitié de ces fonds a directement bénéficié aux communautés locales, un modèle qui illustre le potentiel social et économique des crédits carbone.
Cependant, comme l’explique Jacques Assahoré Konan, ministre ivoirien de l’Environnement, ces projets nécessitent un cadre réglementaire strict pour éviter les dérives. «Nous venons de finaliser la mise en place d’un cadre réglementaire national, car c’est un préalable essentiel. Sans cela, le mécanisme peut devenir contre-productif», a-t-il déclaré.
Malgré son potentiel financier, le système des crédits carbone est loin de faire l’unanimité. De nombreux experts et acteurs politiques s’inquiètent de la possibilité que ces crédits soient utilisés par les pays industrialisés comme un simple «droit à polluer», plutôt qu’une réelle incitation à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
«Pendant que les pays développés hésitent à financer directement l’action climatique, on constate un engouement croissant pour l’achat de crédits carbone. Cela soulève des questions», a déclaré Jacques Assahoré Konan. En effet, si les crédits carbone permettent de financer des projets écologiques, ils ne garantissent pas toujours une réduction effective des émissions mondiales.
Une étude scientifique récente révèle un chiffre troublant : seuls 16 % des projets de crédits carbone conduisent à une réduction réelle des émissions de gaz à effet de serre. Le reste est souvent considéré comme du greenwashing, une stratégie de communication qui vise à donner une image écologiquement responsable sans véritable impact environnemental.
Les critiques soulignent également que certains projets financés par ces crédits auraient été réalisés de toute façon, indépendamment de la compensation carbone. Ce manque de transparence et de rigueur nuit à la crédibilité du mécanisme et met en lumière la nécessité d’un encadrement strict. L’un des objectifs majeurs de la COP29 est d’établir des règles claires pour garantir l’intégrité du marché des crédits carbone. Depuis neuf ans, les négociateurs tentent de finaliser les modalités de l’article 6 de l’Accord de Paris, qui traite des mécanismes de marché pour réduire les émissions. Cette année pourrait être décisive pour mettre en place des standards internationaux qui assurent l’efficacité et la transparence des projets.
Les représentants africains à la COP insistent sur l’importance d’un système équitable qui respecte les spécificités locales et ne reproduise pas les déséquilibres historiques entre le Nord et le Sud. Ils appellent également à une participation active des communautés locales dans la conception et la mise en œuvre des projets, pour garantir que les bénéfices soient réellement partagés.
Pour tirer parti des crédits carbone sans en subir les effets pervers, les pays africains doivent renforcer leurs capacités institutionnelles et techniques. Cela passe par :
• La création de cadres réglementaires solides, comme l’a fait la Côte d’Ivoire.
• La formation des acteurs locaux, pour s’assurer que les projets sont bien adaptés aux besoins des populations.
• La diversification des projets, en privilégiant des initiatives qui favorisent la résilience climatique, comme la restauration des écosystèmes ou l’agriculture durable.
Les partenaires internationaux, notamment les institutions financières et les ONG, ont également un rôle crucial à jouer pour accompagner l’Afrique dans cette transition.
À la COP29, les crédits carbone sont au centre des discussions, mais ils ne représentent qu’une partie de la solution face à la crise climatique. Bien conçus et encadrés, ils peuvent offrir une source précieuse de financement pour les projets environnementaux en Afrique. Cependant, mal utilisés, ils risquent de perpétuer les inégalités et de retarder les efforts nécessaires pour réduire les émissions globales.
Pour l’Afrique, l’enjeu est clair : devenir un acteur majeur dans la gouvernance des crédits carbone, tout en veillant à ce que ces mécanismes respectent les principes de justice climatique. La COP29 pourrait marquer un tournant décisif dans cette direction, à condition que les négociations aboutissent à des accords ambitieux et équitables.
La rédaction