L’African National Congress (ANC), la plus vieille organisation politique du continent africain, a célébré ses 113 ans dans une ambiance bien différente de celle des précédentes années. Fondé le 8 janvier 1912, le parti qui a conduit l’Afrique du Sud vers la liberté et mis fin à l’apartheid traverse aujourd’hui une période de turbulences majeures. Ce 11 janvier, lors d’un discours marquant cet anniversaire, le président Cyril Ramaphosa a mis en lumière les défis colossaux auxquels le mouvement fait face, renforçant l’idée que cette célébration était bien plus qu’un simple événement symbolique.
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C’est en mai dernier que l’ANC a subi un véritable séisme politique lors des élections générales, ne récoltant que 40 % des voix. Ce score, inédit depuis la fin de l’apartheid, a contraint le parti à composer un gouvernement d’union nationale, rompant ainsi avec des décennies de domination parlementaire. Cet échec électoral a été largement perçu comme un signal d’alarme pour une population désabusée, frappée par des crises économiques, sociales et institutionnelles. Le président Ramaphosa, conscient de l’urgence de redresser la barre, a fait de cet anniversaire une plateforme pour réaffirmer l’importance de renouveler et revitaliser l’ANC.
Dans son allocution, le chef de l’État sud-africain a rendu hommage aux origines historiques de son mouvement, rappelant son rôle central dans la lutte pour la liberté et la dignité en Afrique du Sud. Mais ce rappel des heures de gloire ne suffisait pas à masquer la gravité de la situation actuelle. Ramaphosa a souligné que l’ANC traverse une véritable crise existentielle, exacerbée par des défis majeurs tels que la pénurie d’eau, un chômage élevé et des infrastructures délabrées. « Nous célébrons un mouvement qui a été créé pour transformer l’Afrique du Sud », a-t-il affirmé, tout en reconnaissant que cette mission fondatrice est menacée par la perte de confiance des citoyens.
Cette défiance populaire s’explique par une accumulation de problèmes non résolus. Les Sud-Africains sont confrontés à une corruption persistante, une économie en stagnation et une gestion publique chaotique qui entrave le développement. Alors que les élections locales de 2026 approchent à grands pas, l’ANC semble désormais sur la défensive. Pour la première fois depuis son accession au pouvoir, le parti est contraint d’envisager sérieusement une réinvention totale, sous peine de voir son influence diminuer encore davantage. Ramaphosa n’a pas mâché ses mots à ce sujet, évoquant « un moment critique où l’ANC doit choisir entre se réinventer ou disparaître ».
Ce discours a également marqué le coup d’envoi officieux de la campagne pour regagner le soutien des électeurs. L’ANC, autrefois indétrônable, doit désormais convaincre une population qui ne se contente plus des promesses historiques. Il s’agit d’un véritable défi pour un parti dont l’identité a longtemps été façonnée par ses luttes passées plutôt que par une vision claire de l’avenir. Ramaphosa, en appelant à l’unité et à la mobilisation des membres du parti, espère redynamiser les structures internes et reconstruire une base électorale solide. Pourtant, cette ambition se heurte à de nombreux obstacles, notamment les divisions internes et une méfiance croissante envers les élites politiques.
Les célébrations du 113e anniversaire, qui rassemblent chaque année des milliers de partisans à travers le pays, ont donc pris cette année une tournure résolument politique. Si les festivités sont traditionnellement l’occasion de rappeler l’héritage glorieux de l’ANC, elles ont également servi de plateforme pour aborder des questions cruciales sur son avenir. Cette introspection, bien que nécessaire, met en lumière un fait incontournable : l’ANC ne peut plus se reposer sur son passé pour garantir sa survie. Le parti devra démontrer sa capacité à répondre concrètement aux attentes des citoyens, en particulier des jeunes générations qui n’ont pas vécu directement les luttes anti-apartheid mais qui subissent les conséquences des échecs actuels.
Dans un contexte où l’opposition politique gagne du terrain et où des alliances fragiles se forment pour contrer l’hégémonie de l’ANC, la position du parti au pouvoir est plus précaire que jamais. Les promesses de renouvellement devront se traduire par des actions tangibles, telles qu’une réforme économique significative, une lutte renforcée contre la corruption et des politiques sociales inclusives. Mais ces réformes risquent de s’avérer complexes, tant les défis structurels sont enracinés dans la gouvernance sud-africaine.
L’anniversaire de l’ANC, autrefois une célébration éclatante de la victoire contre l’oppression, est devenu cette année une occasion de réflexion et de repositionnement stratégique. Pour Ramaphosa et son équipe, il ne s’agit pas seulement de préserver l’héritage du parti, mais de lui redonner une pertinence dans un paysage politique en mutation rapide. Le chemin vers ce renouveau est semé d’embûches, mais il est clair qu’un échec dans cette entreprise pourrait marquer la fin de l’ère ANC en Afrique du Sud. Dans un pays où les attentes des citoyens évoluent et où les voix dissidentes se multiplient, l’ANC devra prouver qu’il reste un vecteur de changement et de progrès, sous peine de se voir relégué à une simple note de bas de page dans l’histoire sud-africaine.
La rédaction