Le climat diplomatique entre le Niger et le Nigeria se dégrade rapidement, alimenté par des accusations graves portées par le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), à la tête du gouvernement nigérien de transition. Niamey accuse son voisin d’héberger des camps d’entraînement militaires étrangers dans les localités de Gidan Kata et Gigani, situées sur le territoire nigérian. Ces installations, selon les autorités nigériennes, serviraient de base arrière à des forces hostiles visant à déstabiliser le régime en place et à discréditer le CNSP, qui a pris le pouvoir à la suite du coup d’État militaire de juillet 2024.
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Ces allégations ont été formellement exprimées par le ministre nigérien des Affaires étrangères, Bakary Yaou Sangaré, qui a convoqué mercredi dernier la chargée d’affaires de l’ambassade du Nigeria à Niamey. Dans un ton ferme et accusateur, il a dénoncé ce qu’il qualifie d’« attaques abjectes » et d’« entreprises honteuses de déstabilisation ». Selon lui, le Nigeria agirait de concert avec « certaines puissances étrangères » ainsi que des figures de l’ancien régime nigérien renversé, désormais réfugiées et protégées à Abuja.
Le Nigeria, pour sa part, n’a pas encore répondu officiellement à ces accusations, mais les tensions entre les deux pays ne sont pas nouvelles. Depuis le renversement du président Mohamed Bazoum au Niger, le Nigeria, dirigé par le président Bola Ahmed Tinubu, a pris une position ferme contre le coup d’État. Le Nigeria est membre de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui a condamné sans ambiguïté la prise de pouvoir par le CNSP et a même envisagé une intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger.
Les accusations actuelles, si elles sont confirmées, pourraient aggraver les relations déjà tendues entre les deux pays. Le CNSP semble voir dans le Nigeria un acteur clé d’une conspiration plus large, impliquant des puissances internationales, pour renverser le gouvernement de transition. Ce narratif, souvent utilisé dans des contextes de tensions géopolitiques, pourrait avoir des conséquences diplomatiques et sécuritaires majeures.
La région du Sahel, déjà marquée par une instabilité chronique due à la montée en puissance des groupes jihadistes, risque de voir ces tensions bilatérales exacerber une situation sécuritaire fragile. Les accusations du Niger surviennent à un moment où le pays fait face à une pression croissante sur plusieurs fronts : insécurité, isolement international, et crise économique amplifiée par les sanctions imposées par la CEDEAO.
Pourtant, plusieurs questions restent sans réponse. Le Niger n’a jusqu’ici pas fourni de preuves tangibles pour étayer ses accusations. Quels sont les éléments concrets qui pourraient démontrer l’existence des camps d’entraînement en territoire nigérian ? S’agit-il d’une manœuvre politique du CNSP pour détourner l’attention des défis internes auxquels il fait face, ou les soupçons nigériens reposent-ils sur des renseignements fiables ?
Du côté du Nigeria, la réaction officielle reste attendue. Cependant, toute reconnaissance implicite ou explicite des accusations portées par le Niger pourrait entraîner des répercussions diplomatiques importantes. L’histoire récente a montré que des tensions prolongées entre pays voisins peuvent facilement dégénérer en crises régionales plus profondes. Une escalade dans les relations entre Niamey et Abuja pourrait non seulement isoler davantage le Niger, mais aussi perturber les efforts internationaux visant à stabiliser le Sahel.
En outre, cette situation met en lumière les relations complexes entre les deux nations, historiquement liées par des facteurs ethniques, économiques et géographiques. Le Nigeria, en tant que puissance régionale, joue un rôle clé dans le maintien de la paix et de la stabilité en Afrique de l’Ouest. Mais il est également perçu par certains comme un acteur dominant qui pourrait utiliser son influence pour dicter ses conditions aux pays voisins.
Cette dynamique alimente un ressentiment au Niger, où une partie de la population voit dans les actions du Nigeria une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures du pays. Ce sentiment est renforcé par le discours du CNSP, qui tente de mobiliser l’opinion publique en désignant des ennemis extérieurs pour justifier sa prise de pouvoir et sa gestion de la transition.
Les jours à venir seront cruciaux pour l’avenir des relations entre le Niger et le Nigeria. La communauté internationale, en particulier les partenaires africains et les organisations régionales comme l’Union africaine et la CEDEAO, devra jouer un rôle actif pour désamorcer les tensions. La diplomatie sera essentielle pour éviter une escalade qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour les deux pays et pour la région dans son ensemble.
Pour l’instant, la situation reste marquée par une incertitude profonde. Les allégations du Niger nécessitent des investigations approfondies et des clarifications de la part des deux gouvernements. La priorité devrait être de privilégier le dialogue et la coopération afin d’empêcher que ces tensions bilatérales ne se transforment en une crise régionale.
Dans un contexte déjà complexe, où le Sahel lutte contre les défis conjugués du terrorisme et de l’instabilité politique, toute opportunité de désescalade doit être saisie. Une approche concertée entre le Niger, le Nigeria, et les autres acteurs régionaux pourrait non seulement résoudre les différends actuels, mais aussi renforcer les bases d’une stabilité durable dans cette région stratégique de l’Afrique.
Wilfrid K./La rédaction