La Libye, riche en ressources pétrolières, traverse une nouvelle crise qui menace de paralyser l’une des plus importantes industries du pays : le secteur pétrolier. Au cœur de cette tourmente, se trouve une lutte de pouvoir interne à la Banque centrale libyenne (CBL), une institution qui joue un rôle central dans la gestion des revenus pétroliers du pays. Cette crise, qui a déjà provoqué une interruption des exportations et une chute importante de la production, met en péril non seulement l’économie nationale, mais aussi la stabilité politique du pays.
La Banque centrale libyenne est un acteur essentiel de l’économie du pays, en particulier dans le secteur pétrolier. En effet, cette institution gère les revenus provenant des exportations de pétrole, qui représentent plus de 90 % des recettes publiques de la Libye. Le pétrole, véritable poumon économique du pays, assure le financement des institutions publiques et permet de stabiliser une économie déjà fragile en raison de la guerre civile et de l’instabilité politique qui secouent le pays depuis la chute de Kadhafi en 2011.
Cependant, cette position clé de la CBL s’est transformée en arme dans la lutte de pouvoir entre les différentes factions politiques libyennes. La Banque, censée être indépendante, est de plus en plus perçue comme une institution politisée, dont les actions sont guidées par des intérêts partisans plutôt que par la gestion saine de l’économie nationale.
La crise actuelle découle principalement de dissensions internes au sein de la direction de la Banque centrale. Depuis plusieurs mois, les responsables de la CBL sont divisés en deux camps, chacun accusant l’autre de mauvaise gestion et de corruption. Ces tensions ont culminé avec l’incapacité de la Banque à répartir équitablement les revenus pétroliers entre les différentes régions du pays, aggravant ainsi les divisions régionales et tribales qui minent la cohésion nationale.
Le problème est également exacerbé par l’absence d’une gouvernance centrale forte en Libye. Depuis la guerre civile qui a éclaté après la chute de Kadhafi, la Libye est divisée entre plusieurs gouvernements rivaux et milices armées, chacun cherchant à s’emparer des ressources pétrolières pour asseoir son pouvoir. Cette fragmentation politique se reflète aujourd’hui dans la gestion des finances publiques, où la Banque centrale, autrefois un pilier de stabilité, est devenue un terrain de confrontation.
L’un des effets les plus visibles de cette crise interne à la CBL est la chute brutale de la production pétrolière en Libye. Selon Mohamed Eljarh, expert en énergie et directeur associé de Libya Desk, les exportations de pétrole libyen ont été suspendues en raison de cette lutte de pouvoir. «La production a chuté à des niveaux historiquement bas», a-t-il déclaré dans une interview exclusive, soulignant que la crise financière touche désormais les infrastructures pétrolières du pays.
La National Oil Corporation (NOC), la compagnie nationale pétrolière, est elle-même prise en tenaille entre les factions rivales. La NOC, qui dépend en grande partie des fonds de la Banque centrale pour assurer ses opérations, se retrouve dans l’incapacité de payer ses employés et de maintenir ses installations. Cela a conduit à la fermeture de plusieurs champs pétroliers clés, notamment dans la région du Croissant pétrolier, où se trouvent les principales infrastructures d’exportation.
Eljarh précise que les arrêts de production ne concernent pas seulement les infrastructures endommagées par la guerre, mais aussi celles qui étaient jusqu’à récemment pleinement opérationnelles. «Les installations pétrolières sont en train de se détériorer faute d’entretien régulier, et cela met en danger la capacité future de la Libye à revenir à des niveaux de production normaux», explique-t-il.
Les conséquences économiques de cette crise sont déjà palpables. Avec la chute des revenus pétroliers, le gouvernement est incapable de financer les services publics, ce qui entraîne des pénuries de biens essentiels, des coupures d’électricité et une inflation galopante. La dévaluation continue de la monnaie libyenne ajoute encore à la pression économique que subit la population, déjà éprouvée par des années de conflits.
Les experts craignent que la situation économique ne s’aggrave davantage si la production pétrolière ne reprend pas rapidement. «Sans une solution à cette crise bancaire, il est peu probable que la Libye puisse retrouver une stabilité économique», avertit Eljarh. Il souligne que les sanctions internationales, combinées à la faiblesse des institutions financières libyennes, ont laissé la Banque centrale sans les moyens de redresser la situation.
Face à cette crise, plusieurs observateurs appellent à une réforme en profondeur de la Banque centrale et du secteur pétrolier. Le principal défi est de désamorcer les tensions politiques au sein de la CBL, de rétablir la confiance dans la gestion des finances publiques et de garantir une répartition équitable des ressources pétrolières entre les différentes régions du pays.
Cela nécessitera également une coopération internationale plus soutenue. La communauté internationale, notamment les Nations Unies et l’Union européenne, joue un rôle clé dans la résolution des conflits en Libye. Cependant, les solutions proposées jusqu’à présent, principalement basées sur des dialogues politiques entre les factions rivales, n’ont pas suffi à apaiser les tensions économiques.
Le sort de l’économie libyenne repose donc sur la capacité des dirigeants à mettre de côté leurs différends politiques et à rétablir la stabilité au sein de la Banque centrale. Cela passe par une restructuration de l’institution pour la rendre plus transparente et moins sujette aux influences politiques.
L’industrie pétrolière, qui représente l’espoir d’une reprise économique pour la Libye, ne pourra se redresser qu’avec une gestion financière rigoureuse et un soutien international accru pour la réhabilitation des infrastructures. Comme le souligne Mohamed Eljarh, «le pétrole est à la fois la plus grande richesse et la plus grande malédiction de la Libye». Si la crise actuelle n’est pas résolue rapidement, elle pourrait entraîner des conséquences dévastatrices pour la population et l’avenir politique du pays.
La Libye se trouve à un carrefour crucial. La crise au sein de la Banque centrale ne fait qu’aggraver une situation déjà critique, et seule une réforme structurelle profonde pourra ramener la stabilité nécessaire pour relancer la production pétrolière et assurer la prospérité du pays.
La rédaction