Alassane Dramane Ouattara, l’homme aux chiffres, aux réformes et à la rigueur technocratique, s’avance de nouveau sous les projecteurs politiques. À 83 ans, le président ivoirien brigue un quatrième mandat, défiant le poids du temps et les turbulences d’une scène politique qu’il connaît mieux que quiconque. Depuis plus de trois décennies, cet économiste de formation, formé entre le Burkina-Faso et les États-Unis, a tissé une trajectoire singulière, entre les couloirs feutrés du Fonds Monétaire International et les tempêtes ivoiriennes.
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Né le 1er janvier 1942 à Dimbokro, issu d’une famille modeste de Kong, Ouattara s’est forgé loin des cercles partisans. Très tôt, il comprend que la discipline économique peut devenir un instrument de pouvoir. Au FMI, il gravit les échelons jusqu’à diriger le département Afrique, avant de prendre les rênes de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à Dakar. Là, il modernise la gestion monétaire ouest-africaine et forme toute une génération de cadres africains, laissant déjà entrevoir l’homme de méthode qu’il deviendra.
Le hasard et la crise vont précipiter son entrée en politique. À la fin des années 1980, la Côte d’Ivoire est au bord du gouffre économique. Le président Félix Houphouët‑Boigny cherche un sauveur. Il fait appel à Ouattara, l’expert respecté de Washington, pour piloter un plan de redressement. Quelques mois plus tard, le technocrate devient Premier ministre, propulsé au sommet du pouvoir sans passer par les marches habituelles du militantisme.
Mais la politique ivoirienne n’a rien de rationnel. Ses réformes économiques, jugées trop dures, suscitent la fronde au sein même du PDCI. Après la mort d’Houphouët-Boigny en 1993, Bédié prend les commandes et invente la célèbre équation de « l’ivoirité », dans laquelle Ouattara devient le X inconfortable. Accusé d’être Burkinabè, il doit prouver qu’il est plus ivoirien que le foutou lui-même. Il le fait avec papiers, photos, cartes d’identité de ses parents. Mais la machine politique, elle, ne s’embarrasse pas de preuves.
De cet épisode, Ouattara tire une leçon : la patience. En 1999, il rentre en Côte d’Ivoire, prend la tête du Rassemblement des Républicains (RDR) et s’impose comme le chef de file d’une opposition réformiste. Mais le destin, encore une fois, s’amuse. Un coup d’État emporte Bédié, puis une guerre civile éclate sous Gbagbo. La Côte d’Ivoire se déchire en deux, et Ouattara, exilé, devient malgré lui le symbole d’un Nord marginalisé.
Il faut attendre 2010 pour que la boucle se referme. Après un scrutin historique, la commission électorale le déclare vainqueur. Le Conseil constitutionnel en décide autrement. Le pays sombre dans la crise. Deux présidents, deux armées, un seul pays. Le 11 avril 2011, Gbagbo sort du palais, Ouattara entre dans l’Histoire, et la Côte d’Ivoire dans un long chantier de reconstruction.
Son premier mandat sera celui de la reconstruction. Routes, ponts, universités, stades : tout y passe. Les investisseurs reviennent, les statistiques explosent, et les communicants s’enflamment. « La Côte d’Ivoire avance », martèle-t-on. Certains disent même qu’elle court. D’autres notent qu’elle ne sait plus trop vers où.
En 2020, nouveau rebondissement : Gon Coulibaly, son dauphin soigneusement formaté, disparaît soudain. Le scénario s’écroule. Et comme dans tout bon film politique, c’est le héros lui-même qui revient pour sauver la continuité. Troisième mandat ? “Nouveau cycle constitutionnel”, explique-t-il avec le calme d’un professeur de macroéconomie. Ses opposants crient au coup de force. Lui, imperturbable, parle de “stabilité et d’expérience”. En Côte d’Ivoire, même la légalité devient affaire d’interprétation budgétaire.
Sur le plan diplomatique, Ouattara se rêve en sage de la sous-région. Président de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), il prêche le dialogue pendant que ses voisins tombent les uns après les autres dans les bras des militaires. Quand 49 soldats ivoiriens sont détenus à Bamako, il garde le silence, serein comme un banquier qui sait que le taux d’intérêt finira toujours par baisser.
Son souci majeur désormais, c’est la sécurité. La menace djihadiste, descendue du Sahel, frappe aux portes du pays. Sous son impulsion, l’armée ivoirienne s’est professionnalisée et modernisée. Le pays compte aujourd’hui plus de 55 000 soldats et gendarmes, mieux équipés et mieux formés. Le technocrate a troqué ses tableaux Excel contre des blindés.
Et pendant que les analystes spéculent sur “l’après-ADO”, lui parle de “poursuivre la transformation”. Traduction : le chantier n’est pas fini, et il n’aime pas qu’on quitte la salle avant d’avoir bouclé le rapport.
Dans le fond, Alassane Ouattara n’est pas un président, c’est un projet à long terme. Un modèle de stabilité pour les uns, une figure d’usure pour les autres. Il incarne cette élite africaine persuadée qu’un pays se gère comme une entreprise, sauf que, dans ce cas précis, le PDG n’a jamais l’air décidé à céder la direction.
À la veille du scrutin désormais derrière lui, une question reste suspendue : jusqu’où l’homme du FMI peut-il encore faire fructifier le capital politique d’un pays qui, malgré ses progrès, aspire à respirer autrement ?
Peut-être que la réponse se trouve dans sa devise silencieuse : « Gouverner, c’est prévoir, mais surtout durer. » Et sur ce point, Ouattara n’a plus de concurrents.
Wilfrid K./La rédaction







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